mercredi 4 avril 2012

Richard Descoings, portrait d'un anticonformiste inspiré

Tu pars déjà ? :-(     Merci pour tout

--------------------------------------------
"Le patron de Sciences Po était un fervent militant de l'égalité des chances, capable de tous les "coups" pour mener à bien ses réformes.
Le bilan de Richard Descoings, retrouvé mort mardi 3 avril, est impressionnant. Il a fait d’une école parisienne une quasi université de rang international, puisque l’effectif de Science Po frise aujourd'hui les 10.000 étudiants, dont plus d'un tiers d'étrangers. En 16 ans, c’est un considérable exploit qui fait ressortir, par contraste, l’immobilisme d'autres grandes écoles réputées.
On trouve pour partie l’inspiration et les clés de cet activisme dans un livre témoignage de 500 pages auquel Richard Descoings avait consacré beaucoup de temps : "Sciences Po, de La Courneuve à Shanghaï", publié en février 2007, à la veille de la présidentielle (ce qui n’était pas fortuit).
Deux points saillants ressortent de cet ouvrage. D’abord, un panégyrique du fondateur de Sciences Po, Emile Boutmy, auquel on a constamment l’impression que Richard Descoings s’identifie. Ensuite, une vigoureuse charge contre l’interventionnisme de l’Etat dans les affaires de Sciences Po et une demande d’autonomie qui se concrétisera avec la loi LRU six mois plus tard.
Inspiré par le fondateur de Sciences Po
Emile Boutmy crée l’Ecole libre des sciences politiques en 1871, dans le sillage du traumatisme de la défaite de 1870 contre la Prusse, humiliation pour les français qui se vivent depuis un siècle comme porteurs des Lumières (qu’ils croient devoir aller propager aux "colonies") . Guillaume 1er est proclamé Deutscher Kaiser dans la galerie des Glaces à Versailles.
Estimant que "c’est l’université de Berlin qui a triomphé à Sadowa", Emile Boutmy, et quelques autres, dont Jules Ferry – imputent la défaite au retard de l’école et l’université française. D’où sa décision de fonder une "Ecole libre des sciences politiques".
"Libre signifie qu’elle veut ne rien devoir à l’Etat", soulignait Descoings, qui raconte comment s’y est pris Boutmy : "n’ayant pas un sou vaillant, il sut mobiliser un réseau d’hommes d’influence et de fortune qu’il avait su se constituer au fil des ans. Il sonna à toutes les portes pour constituer le capital d’une société par actions qui allait porter l’école (…) Il usait beaucoup de la presse pour faire évoluer les idées". C’est bien la "méthode Descoings" qu’on lit à cette évocation d’Emile Boutmy. Il a fait beaucoup de choses grâce à des aides autres que publiques, et grâce à la presse.
Richie et la méthode Boutmy
Car il décrit ensuite, au fil de pages rageuses, ses bagarres avec sa tutelle publique qui, à l’en croire, n’a eu de cesse que d’entraver ses initiatives. On sent qu’il aurait presque aimé réintégrer le qualificatif "libre" dans son sigle.
Exemple : en 2003, son projet d’Ecole de Journalisme fut refusée par sa tutelle car "non prévue dans le plan quadriennal". Adoptant la méthode Boutmy, il leva alors des fonds et ouvrit en 2004 dans des locaux financés par le privé. La tête de son "réseau d’hommes d’influence et de fortune" à lui, n’est autre que l’un des plus grands acteurs financiers de la place de Paris, Michel Pébereau, l’ancien président de BNP Paribas, qui préside le conseil de direction de Sciences Po, et ardent "fan" de "Richie D" ( riches idées), comme l’ont surnommé ses élèves.
Lors d’une réunion de cadrage budgétaire, un haut fonctionnaire furieux des initiatives du remuant patron lui lança en 2005 : "Je regrette le bon vieux temps où Sciences Po était pauvre mais digne".

Il faisait enrager HEC
Beaucoup d’universitaires ont été "bluffés" par les opérations immobilières réussies par Descoings, et notamment son OPA en 2007 sur les locaux de l’ENA, rue de l’Université et rue des Saints Pères, des sites à la valeur patrimoniale colossale. L’aide de quelques banquiers importants y fut pour quelque chose. Il faut dire que l’on compte énormément de Sciences Po dans la finance.
Descoings faisait enrager les patrons d’écoles comme HEC, l’ESSEC, Centrale ou Polytechnique, délocalisées à 30 kilomètres de Paris, quand il faisait remarquer qu’il n’avait aucun problème pour attirer des très grands profs étrangers qui acceptent une moindre rémunération contre le bonheur d’enseigner à Saint-Germain-des-Prés.
Son plus beau coup consista à obtenir que Condoleeza Rice, secrétaire d’Etat de Georges Bush, fasse sa seule intervention en France, une conférence de 45 minutes, en pleine guerre d’Irak, dans le célèbre amphi Boutmy. Un show sur fond de logo Science Po qui fut mondialement et intégralement retransmis par CNN. Pour y arriver, il avait usé d’une ruse : Rice se croyait à la Sorbonne. "Mais savez-vous que la rue de l’Université où nous sommes installés s’appelait jadis la rue de la Sorbonne ?" rigolait-il pour justifier la manip.

"Périclès le jour, Alcibiade la nuit"
En 2007 il fait un acte d’apparence mineure mais à la symbolique forte : il transforme le logo de Sciences Po. Celui-ci montrait un renard et un lion maigrichons, barrés et comme enfermés dans une sorte de cage. "Vous avez vu, j’ai libéré le lion et le renard ! Et maintenant ils tiennent un livre, sur un fond rouge bien tonique", nous avait il expliqué, jubilant.
Richard Descoings faisait partie de ce genre de personnes qui ont l’art de susciter les passions. Sur les forums internet, les opinions à son sujet étaient presque toujours extrêmes, dans un sens ou l’autre. Il tenait un blog qui avait le don d’enflammer encore plus les commentaires. Le goût pour la provoc humoristique ou ironique faisait partie du personnage.
Lors d’un portrait de lui que nous avions fait dans "le Nouvel Observateur", à une époque où certains prétendaient qu’il en faisait trop lors des fêtes de fin d’année avec ses élèves, nous lui avions demandé quels étaient ses héros. Il avait répondu, au nez d’un dircom' pétrifié, "Périclès le jour, et Alcibiade la nuit". Alcibiade, décrit comme le petit copain de Socrate - comme on dit aujourd’hui - était réputé danser dans les fêtes avec des grappes de raisins autour du front.
"René Rémond reste le plus important de mes maîtres, non seulement parce qu’il est le président de la Fondation nationale des sciences politiques, mais plus encore parce qu’il exerce un magistère moral fondé sur un formidable appétit de vivre et un goût immodéré pour la liberté", écrivait Descoings en 2007. Encore une sorte d’autoportrait par procuration ? "

http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20120404.OBS5446/richard-descoings-ou-l-anticonformisme-au-service-de-sciences-po.html

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire